ENTRETIEN AVEC...
L'IMMIGRATION, CHOISIE OU CONCERTÉE ?
Par M'backé N'diaye Bruxelles |
PIEGE DES MOTS ! « L’immigration concertée est un marché de dupes »
Question : On sait que vous avez travaillé sur les questions d’immigration. Que recouvre, pour vous, les concepts d’immigration choisie et d’immigration concertée ?
M’backé N’diaye : Ce sont, avant tout, deux slogans antagonistes qui promeuvent deux approches différentes du phénomène de l’émigration.
D’un point de vue stratégique, ces deux formules expriment un conflit d’intérêts entre les pays riches du Nord ceux du Sud, moins servie par la fortune.
Chronologiquement elles représentent deux étapes ou deux approches successives dans la négociation qui s’est instaurée entre l’Europe et l’Afrique en vue de trouver des solutions susceptibles de mettre un terme définitif au caractère clandestin du phénomène de l’immigration; en d’autres termes l’immigration subie.
Ces deux formules illustrent une volonté politique et une détermination des uns et des autres à enrayer les effets négatifs d’un fléau qui prend des proportions de plus en plus dramatiques. Il faut savoir que la question des migrations est l’une des grandes problématiques du monde moderne.
Par nature et par culture, les hommes se déplacent beaucoup, mus par la quête du bonheur et d’un monde meilleur.
De ce fait, la migration sera toujours une question centrale et récurrente dans les rapports entre nations. Ce phénomène contemporain pose un problème de Droit, de relations internationales et par suite de société et ses enjeux sont souvent capitaux et contradictoires.
Un simple récapitulatif de ces rounds de négociations, qui aboutissent au constat d’échec de nos propres espoirs, suffirait à répondre à votre question.
Question: Dites nous comment en est-on arrivé à ce résultat alors que les deux parties semblaient être animées de bonnes intentions ?
M’backé N’diaye : Je vous l’explique volontiers !
Nos dirigeants avaient pensé qu’en passant de l’étape de l’immigration choisie à celle de l’immigration concertée ils réalisaient un saut qualitatif et avantageux pour nos pays.
Malheureusement la réalité s’est montrée cruellement décevante. Si la revendication et l’exigence d’une immigration concertée a été un franc succès politique pour nos chefs d’Etats ; techniquement dans sa mise en œuvre elle s’est révélée un flop et un revers complet pour nos représentants qui se sont révélés être de piètres négociateurs devant leurs homologues occidentaux beaucoup plus rompus à la tâche; Par conséquent pour moi, il n’est pas pertinent, au vue du résultat actuel de cette formule, de dissocier le concept de l’immigration choisie de celle de l’immigration concertée.
Pour moi la seconde n’est que le succédané ou plus justement, l’aboutissement de la première : il y’a l’énoncé politique du principe auquel succède sa mise en œuvre pratique.
Question: Pensez-vous vraiment qu’avec ces accords on s’est fait avoir de nouveau ?
M’backé N’diaye : Passée sous silence la médiocrité de nos technocrates, mon opinion personnelle est qu’il n’y’a pas une très grande différence entre les deux formules.
A la limite j’y vois un degré de plus dans la cruauté et l’égoïsme des occidentaux. J’y décèle, surtout, un vaste marché de dupes et un accroissement des moyens de dissuasion mis à la disposition des occidentaux avec le concours de nos forces de l’ordre.
Pour moi cette énième formule est une dérobade qu’on a encore trouvé pour continuer à faire semblant de venir en aide aux populations des pays pauvres du Sud.
A mon avis, tous les indices d’un flux concordant et convergeant vers un simple et vulgaire marché de dupes sont réunis : Si vous additionnez : Données biométriques ; Passeports régionaux ; ADN ; Dispositif FRONTEX ; Centres de retentions administratives, vous aurez compris qu’il s’agit de tout un arsenal juridique et répressif d’un piège minutieusement tissé et qui se referme sur nos populations.
Il ne reste à nos dirigeants que la mauvaise conscience d’avoir été associés à ce qui apparait comme l’édification d’une forteresse imprenable pour les malheureux migrants africains.
Question: Pourtant, beaucoup de pays africains ont accepté d’engager la discussion sur cette base ?
M’backé N’diaye : Il est vrai qu’avec une bonne foi toute candide, nos dirigeants avaient accepté de discuter sur cette base. Mais vous avez, aussi, constaté que lorsque toutes les pièces du puzzle se sont reconstituées et que l’on s’est tous aperçu de la supercherie occidentale, le président Wade, invité au parlement européen, n’a pas hésité à monter au créneau pour vilipender ce nouveau coup fourré européen.
Question: Quelle a été son argumentation ?
M’backé N’diaye : Faisant appel aux technocrates et intellectuels africains Il a, de nouveau, remit en question cette formule en dénonçant ses inepties.
S’appuyant sur le fait que dans toute négociation politique, comme en matière contractuelle, le déséquilibre entre le fort et le faible, ne peut être résorbé que par une loi transcendant les intérêts des uns et des autres, le président a insinué l'idée d'ériger le droit à l'émigration comme un un droit humain naturel.
Ce qui veut dire que nous devons refuser de nous limiter simplement à la subversion des concepts juridiques que les occidentaux veulent nous imposer, en ce qui concerne l’immigration concertée, en refusant d’accepter ce qu’ils ont décidé dans leurs législations nationales.
Il ne faut pas oublier que se sont des équipes gouvernementales qui tiennent coûte que coûte à leur réélection pour continuer à diriger des Etats qui tiennent, tout aussi vitalement à leur intégrité nationale ainsi qu’à leur sécurité intérieure:
Donc, ils seront infailliblement conditionnés à promouvoir la politique d’immigration qui les conforte dans les bonnes grâces leurs opinions publiques lesquelles sont peu réceptives à ce phénomène.
Question: Quel devrait être la réplique des africains dans ce cas de figure?
Mbacké Ndiaye : Si les africains parviennent à faire des contre-propositions efficaces, imposent la notion d’émigration comme un droit humain naturel, en discutant d’égal à égal avec leurs homologues occidentaux pour trouver une solution commune, il y’aura sûrement un espoir de voir une évolution positive de ce problème.
C’est donc en montrant qu’ils en sont capables d'apporter un remède salutaire et bénéfique pour les deux parties que les dirigeants africains grimperont dans l’estime de leurs peuples en faisant échec au diktat européen.
Question : D’après vous, l’immigration choisie ou concertée. C’est du pareil au même ?
M’backé N’diaye : Je peux le confirmer. Lors de sa première visite à Dakar, le président Sarkozy avait parlé de l’immigration choisie. Sa sortie avait soulevé un tollé général.
Le président Abdoulaye Wade avait déclaré, en toute bonne foi, qu’il n’était pas question d’accepter l’immigration choisie. Après une discussion avec les autorités françaises, lors d’une visite à Paris, maître Wade est revenu avec le concept de l’immigration concertée.
Aujourd’hui, il s’est rendu compte que même avec cette formule les choses n’avançaient pas beaucoup non plus.
Il a fustigé le dispositif du FRONTEX.
Il a aussi égratigné, sans ambages, la politique sournoise consistant à financer des titres de voyages établis sur des considérations et aires géographiques dépassant le cadre étriqué des micros-états africains. (Passeports CEDEAO) dans le seul but de rendre plus facile les reconduites à la frontière des ressortissants africains.
Question: Vous approuvez, donc, que certains de nos dirigeants se mettent à dénoncer les travers de ces dispositifs ?
M’backé N’diaye : La frustration de nos dirigeants est parfaitement compréhensible du fait qu’ils n’étaient associés à la concertation que dans la phase et dans les aspects répressifs : mesures de sûretés et coercitions. (Tests ADN, reconduites à la frontière, centres de rétention administrative, titres de voyages établis sur des bases biométriques et communautaires, etc.).
C’est ce dispositif, en rapport avec la politique d’éloignement pratiquée systématiquement et brutalement par les services de sécurités occidentaux, qui, comme nous le constatons, renforce terriblement le sentiment de culpabilité de nos gouvernants face à leurs opinions publiques !
Je répète qu’entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère. Sans cette loi (le droit à l’émigration) qui serait applicable aux différents protagonistes, les plus forts et les mieux organisés, (les européens en l’occurrence), vont toujours décider qui ils veulent bien accueillir dans leurs pays.
Insistons quand même, pour éviter toute confusion, que dans ce domaine l’égalité devrait logiquement consister à traiter inégalement des choses inégales.
Question: Alors cette formule d’immigration concertée va nuire aux intérêts des pays africains.
M’backé N’diaye : Ne nous leurrons pas : l’immigration choisie ou concertée produisent, à mon sens, les mêmes effets. Le plus fort le restera toujours et imposera sa volonté au plus faible, en dehors de toutes considérations philanthropiques et même de la notion dépassée de charité.
Nous parlons d’intérêts nationaux, d’efficacité économique et de qualité de vie : il y’a peu de place à des apitoiements de cette nature
Question: Donc, les européens agissent dans ce dossier par intérêt ?
Mbacke Ndiaye : Cela vous surprend-il ?
C’est le propre d’un Etat de n’agir que par intérêt.
Il n’ya rien d’étonnant à cela. Seuls les dirigeants africains semblent ne l’avoir pas encore tout à fait compris.
Disons que ce n’est pas l’égoïsme naturel des Etats qui est ici incriminé !
Là n’est pas le problème, le crime est ailleurs !
Question: Quelle devrait être, par conséquent, la position idéale des pays africains ?
M’backé N’diaye : La question de la migration ne peut être résolue efficacement qu’à partir des pays de départ.
L’idéal serait d’initier une politique d’envergure visant à fixer les candidats à l’émigration sur leurs terroirs.
Ce serait, sommes toutes, un bon régulateur du phénomène.
Une co-responsabilisation des décideurs du Nord et ceux du Sud est devenue une exigence nécessaire.
Une coaction d’envergure s’impose fatalement pour que les pays incriminés ou, en tous cas, impliqués parviennent à résoudre les problèmes de survie de leurs populations afin d’éviter que les candidats à l’immigration ne se jettent de manière suicidaire à l’aventure.
Je dois avouer que ce serait illusoire de vouloir prétendre que l’on peut enrayer définitivement ce phénomène.
Ce qu’on pourrait préconiser, en revanche, ce serait que les pays riches investissent au niveau des pays dits pauvres pour donner aux jeunes, des possibilités d’exister et de se réaliser dans des activités de leurs choix. Il est nécessaire de chercher à multiplier les moyens et possibilités de création d’emplois pour que les jeunes en travaillant chez eux arrivent à subvenir à leurs besoins.
L’émigration des populations du Sud vers les pays du Nord est étroitement liée à un problème de satisfaction de besoins primaires et existentiels (formation, travail et loisirs).
Les gouvernants africains doivent se sentir beaucoup plus responsables de leurs populations qui n’aspirent qu’à un épanouissement légitime, une vie décente et de qualité.
Question: Est ce qu’il existe un lien entre l’immigration concertée et la fuite des cerveaux ?
M’backé N’diaye : Bien sûr. Le rapport est étroit et visible. J’oserais même dire que le lien est en surbrillance.
La concertation a été imposée dans le but de faire opposition au diktat des européens.
L’exigence de la participation africaine dans la résolution de la problématique de l’émigration des « cols blancs » à pour but d’atténuer la ruée vers l’Europe de nos élites intellectuelles.
Prenons l’exemple d’un individu qui gagne 300 000 mille francs CFA par mois en travaillant au Sénégal, s’il est sûr de gagner 3 fois plus, il va de soit, qu’il n’hésitera pas à partir.
Les gens voulant toujours gagner plus, il est normal et évident que le travailleur à qui on propose de faire un travail beaucoup mieux rémunéré, dans des conditions nettement plus humaines, accepte cette offre.
On ne peut pas le blâmer à vouloir améliorer son niveau de vie.
Ne sommes-nous pas aussi et surtout, des homo-oeconomicus ?
A cela il faut ajouter qu’il existe, à l’heure actuelle à travers le monde, une recherche effrénée de ressources humaines qualifiées.
En Europe, au Canada, aux Etats-Unis et dans les pays Arabes, on appâte les travailleurs bien formés et hautement qualifiés. (Drain-brains par la politique des Green cards)
Cela comporte l’avantage d’épargner aux pays demandeurs des obligations et charges importantes en matière d’instruction et de formation.
C’est un gain de temps et d’argent très conséquent engrangé par dépenses évitées. le but initial de tout ce chamboulement était de trouver une bonne politique commune en matière d'immigration afin de maitriser davantage le flux migratoire vers les pays d'accueil et de sédentariser de nos élites dans nos pays.
Question: En visite, il y’a un mois au parlement européen, le président Wade a accusé l’Europe de continuer toujours à spolier les ressources des pays africains ?
M’backé N’diaye : La position du président est parfaitement compréhensible et est valablement défendable.
D’ailleurs, en venant le dire devant le parlement européen, il a signé un acte de courage.
Il aurait pu caresser les européens dans le sens du poil, mais il ne l’a pas fait ; exprimant clairement le fond de sa pensée. Maintenant, il faut trouver une solution au « mal ».
C’est un problème global et il faut lui trouver une solution globale.
Ce qu’il y’aurait mieux à faire, à mon sens, ce serait de pouvoir utiliser les ressources, les connaissances et les compétences des africains sur le sol même de l’Afrique, de sorte que les retombées économiques et financières puissent bénéficier directement aux populations autochtones.
Les africains vivent sur un sol et à côté d’un sous-sol riches mais, malheureusement, n’en vivent pas !
C’est une aberration qu’il n’est plus question de laisser perdurer plus longtemps: voilà pourquoi je répète, à qui veut bien l’entendre, qu’il est hors de question que nous baissions les bras : nous qui vivons dans la Diaspora et qui nous mouvons au cœur de cette persistante et douloureuse problématique.
Question: Vous avez mis en place une structure dénommée Afric’attaches. Quels sont ses objectifs ?
M’backé N’diaye : Afric’attaches est une ONG qui est née au sein de la Diaspora Africaine d’Europe.
Elle poursuit principalement l’objectif de vulgariser, par une action multidimensionnelle sur le terrain, une nouvelle approche politique, économique, médiatique et culturelle et de promouvoir des idéaux d’unité africaine et de la nécessité de la participation de la Diaspora, à la mesure de son soutien au continent, au développement de l’Afrique notre terre d’origine.
Afric’attaches propose de rendre réalisables nos sentiments affectifs (volet humanitaire) ainsi que nos projets effectifs (volet économie) pour une Afrique visible, prospère et respectée (volet médiatique).
Notre ambition est de créer un bureau Afric’attaches dans chaque Etat du continent ; puis dans chaque ville du continent une antenne Afric’attaches.
Ainsi nous pourrons, en quadrillant le terrain, sensibiliser les populations partout en Afrique de l’importance et de la nécessité pour l’Afrique de parachever sa marche unitaire.
Nous lançons un appel à tous les panafricanistes sénégalais en leurs disant qu’ils peuvent, eux aussi, créer une antenne Afric’attaches dans leurs villes en prenant contact avec le Bureau Afric’attaches Sénégal à Dakar.
Ce bureau sera installé incessamment. Probablement au mois de Septembre prochain.
Question: Je vous remercie Mr N’diaye !
M’backé N’diaye : C’est moi qui vous remercie !
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